15. Marathon de Poznan
Après le marathon de Milan au printemps 2013, me voici à nouveau lancé sur une compétition à l'étranger et en groupe. Alors que nous étions une quinzaine de coureurs du Footing Club Lausanne à nous déplacer en Italie, nous serons plus de 50 à faire le voyage pour la Pologne.
En effet, le Footing Club fêtant ses 45 ans cette année, il a été décidé d'organiser un déplacement et une course en groupe pour tous les membres qui le désiraient, au final un bon 20% de l'effectif complet.
Pourquoi Poznan et la Pologne ? La cheville ouvrière de l'organisation est une coach du club, Teresa Richoz, d'origine polonaise ait ayant vécu quelques années à Poznan. Depuis 4 ans, elle a projetté de faire connaître son pays et sa région natale aux coureurs qu'elle entraîne. En plus de la participation au marathon lui-même, Teresa nous a préparé tout un programme de visite, à la fois culturel et festif.
Avec Linda, nous avons demandé à Teresa de nous préparer un plan d'entraînement pour ce marathon. Il consistera en 55 sorties, étalées sur 11 semaines, donc avec 5 entraînements par semaine, les mardis, mercredis, jeudis, samedis et dimanches. Si le nombre de sortie est élevé, elles ne sont pas très longues, l'idée étant de faire du volume par le nombre de séances plutôt que par leur distance.
Nous suivrons donc religieusement ce plan (même en vacances en Grèce), qui mise beaucoup sur l'endurance de base et les périodes au seuil, mais en fait avec peu de kms courus à l'allure marathon. La sortie la plus longue durera deux heures. 3 des séances étaient en fait des courses de réglage, la course de Bussigny, celle de Renens et le nouveau Semi marathon de la Côte.
Au bout de la 9ème semaine d'entraînement, j'ai commencé à sentir la fatigue de la charge, mais ai eu la chance de ne souffir d'aucune blessure autre que mes traditionnelles chevilles foulées.
Parti un peu trop vite sur le Semi marathon de la Côte, j'ai serré au 10ème km. Mon temps de course laissait extrapoler un résultat de 3h20 au marathon, alors que mon objectif était d'améliorer mon record de 3h17. Un test sur 5'000m une semaine avant le marathon extrapolait un chrono de 3h13, ce qui était plus encourageant.
Nous avons pris l'avion à Genève avec les 50 autres coureurs un vendredi soir, destination Varsovie. Là, nous avons pris un autre avion pour Poznan, puis un autobus est venu nous amener à l'hôtel Sheraton. Il était une heure du matin quand nous avons pu nous coucher. Heureusement, nous avons le samedi pour nous reposer et récupérer.
Le samedi à 11h, nous sommes allés retirer nos dossards au centre de congrès qui se trouve à quelques minutes de l'hôtel. Toute la délégation avait mis tenue officielle, aux couleurs de la Suisse et de la Pologne. Nous avons eu droit à une photo de groupe avec le maire de Poznan, qui est venu nous saluer pour l'occasion.
L'après-midi, nous sommes allés à la pasta party et nous avons fait un petit entraînement léger de mobilisation. Il faisait chaud et humide, laissant craindre des conditions difficiles le lendemain. Le soir nous sommes allés manger dans un restaurant italien, encore des pâtes, qui ont constitué l'essentiel de notre alimentation ces derniers jours.
Nous allons nous coucher tôt, car il y a marathon le lendemain.
Le dimanche, nous nous levons à 6h pour manger notre gatosport et continuer à boire des litres d'eau. Je ne sais pas si c'est le stress à la quantité de boisson ingurgitée, mais vers 7h30, je ressens une douloureuse sensation de brûlure dans le bas ventre et me demande si et comment je vais pouvoir courir dans ces conditions dans un peu plus d'une heure. La sensation diminue, mais reprendra de plus belle un quart d'heure plus tard. Je me souviens que ceci m'était déjà arrivé la nuit précédant mon Sierre-Zinal en 2011, course où je m'étais bien planté - ce n'est pas très bon signe. Je prends un anti-inflammatoire et me rends sur la ligne de départ alors que la sensation de brulure s'estompe.
Contrairement à la veille, le temps est couvert et la température plus fraîche, parfaite pour courir.
Nous avons la chance que le départ soit donné sur la rue juste devant notre hôtel, nous permettant d'y aller au dernier moment. Je me trouve dans le 2ème bloc et repère les ballons des meneurs d'allure de 3h15, que j'ai l'intention de suivre jusqu'au semi.
A 9h, le départ est donné. Je pense que c'est seulement le premier bloc qui part. Je m'avance en marchant avec le reste du peloton de mon bloc pour aller nous placer vers la ligne de départ, mais je me rends compte que les coureurs autour de moi marchent de plus en plus vite - en fait le départ a été donné pour tous les blocs !
Je me trouve avec Gabriela qui pense aussi suivre les ballons de 3h15.
Au passage de la ligne de départ, je déclenche mon chrono au dessus du tapis de détection - c'est parti.
Je décide de partir très doucement, l'idée étant de ne pas aller plus vite que 4'37" au km (allure moyenne pour 3h15) sur le premier semi. Gabriela part plus vite que moi et je la perds assez vite de vue. Le peloton est encore assez compact, et je ne peux contrôler complètement mon allure. Le premier km est bouclé en 5'00", le second en 4'50". A partir du 3ème km, je prends mon allure de croisière entre 4'35" et 4'42" au km.
Au 5ème km, premier ravitaillement, je prends un demi gobelet.
Au 6ème km, nous traversons en diagonale le grand stade de Poznan, cela fait une superbe impression. avec une haie de pom-pom girls, des spectateurs dans les gradins qui nous applaudissent et nous nous voyons passer sur un écran géant.
Au 10ème km, second ravitaillement, je prends un demi gobelet d'eau et mon premier gel, la sensation de brulure ne s'est plus manifestée depuis le départ, tout va bien.
Je cours mon premier km en dessous de 4'37", mais c'est parce qu'il comprenait une descente.
Au 14ème km, le parcours comporte un virage à 180°, qui fait que nous pouvons voir l'avant de la course à l'aller et l'arrière au retour. Je vois passer les ballons de 3h15 et estime que j'ai un retard de 1'30", ce qui est conforme au plan. Je vois aussi passer Gabriela qui est à mi-chemin entre les meneurs et moi.
Au retour, je croise Sacha puis Barbara, nous tapons nos mains au dessus de la barrière qui sépare les deux tronçons de course.
A l'approche du ravitaillement du 15ème km, patatras, mon mollet droit, dans lequel j'avais senti un peu de raideur depuis le départ, se tend sur quelques foulées et je ressens une forte douleur qui m'oblige à m'arrêter. Je pense d'abord à une crampe, mais si le mollet se détend bien, la douleur persiste. Une ambulance est arrêtée au bord de la route et je demande de l'aide. Un secouriste me massera le mollet et y appliquera un spray rafraichissant.
J'ai perdu trois à quatre minutes et mes chances de battre mon record sont déjà bien compromises. En repartant, je constate que si je continue à la même allure, la douleur s'intensifie, mais si je ralentis à 5'10" au km ou plus, en posant le talon d'abord plutôt que le plat du pied, elle reste supportable. J'abandonne alors toute idée de faire un temps, et ma seule motivation sera de finir.
Je marche sur toute la longueur du ravitaillement du 15ème km. Je me propose d'aller jusqu'au semi et de demander conseil pour la suite à Raymond Corbaz, qui devrait s'y trouver.
Je marche à nouveau au ravitaillement du 20ème, en prenant mon second gel.
Le semi passe, puis le 22ème km, pas de trace de Raymond. Je songe sérieusement à abandonner, mais à ce moment nous sommes sur un tronçon d'autoroute, avec de la circulation sur l'autre voie, située entre moi et la ville. Je continue donc.
Les meneurs de 3h30 me dépassent déjà.
Je me motive en me disant que je vais tenir jusqu'au prochain poste de ravitaillement où je pourrai marcher un peu.
Peu après le 25ème, nous nous trouvons en banlieue et je pense à nouveau mettre la flèche à droite. Mais je me rends compte que je suis à l'endroit le plus éloigné de l'arrivée, et je ne sais pas vraiment comment m'y rendre. Je m'imagine aussi la suite du séjour, avec tous les copains du Footing qui fêteront leur marathon et moi qui ne pourrai pas y participer.
Au moment où je ressasse ces pensées négatives, Sacha me rejoint. Nous échangeons quelques mots, il est aussi dans le dur. Je me motive à prendre son train, mais après un km, je me résouds à le laisser filer. Je ne remets pas mon mp3 sur mes oreilles et me rends compte que les spectateurs nous encouragent très fort, ça change de la Suisse.
C'est ensuite au tour de Valérie de me dépasser, elle est toute surprise de me trouver là. Je l'encourage au passage. Elle fera un très bon temps de 3h33.
Nous courrons maintenant autour d'un grand parc boisé et le paysage est plus varié que l'autoroute ou les banlieues précédentes.
Le ravitaillement du 30ème km arrive, je marche et prends mon 3ème gel. Je me dis qu'il ne reste plus que 12 km et que je vais, je dois finir. Je vois que je ratrappe Sacha, qui est complètement à la dérive, et le dépasse. Thierry, avec qui nous avions fait plusieurs séances d'entraînement communes, a dû me dépasser sur ce tronçon, mais je ne l'ai pas vu.
Nous sommmes à nouveau sur un long tronçon d'autoroute qui nous ramène vers le centre de Poznan. C'est au tour de Jacques de me dépasser.
Le km 35 arrive et pas la moindre trace du ravitaillement que j'attendais tant pour pouvoir marcher un peu. Il sera en fait situé peu avant la marque des 36 km. J'avais prévu de prendre un gel coup de fouet à ce moment, mais les gels pris précédemment m'avaient donné des hauts-le-coeur. Je continue donc sans.
Je m'attends maintenant à chaque moment à voir les meneurs de 3h45 et/ou Linda me dépasser.
Comme il reste 6 km, dont une montée au 38ème, je décide de couper la poire en deux et d'avancer la prochaine zone de marche au 39ème. Je m'y retrouve avec un autre concurrent qui marche aussi. Nous échangeons quelques mots et crions ensemble "Go" pour repartir à la course.
Je suis surpris de voir le nombre de participants qui marchent depuis le 30ème km. Il est vrai que d'habitude je suis plus en avant dans la course, avec des coureurs qui savent mieux gérer.
Je fais un ravitaillement volant au 40ème, où se trouve le virage qui amorce le dernier tronçon droit vers l'arrivée.
La foule des spectateurs est très dense et le bruit assourdissant. Cette dernière partie est en légère montée, et mes forces sont à bout. Je marche encore quelques pas au 41ème avant de me lancer sur la finale.
Le virage à droite qui nous amène devant l'hôtel et la marque des 42 km arrive enfin.
Un dernier virage à gauche et je suis sur la ligne droite des derniers 200m qui m'amène à la délivrance tant attendue.
3h43' et des poussières.
Contrairement à mes marathons précédents (et aux autres coureurs), je n'éprouve aucune émotion à l'arrivée, et ma seule préoccupation est de délacer ma basket pour pouvoir retirer et rendre la puce de chronométrage. Ceci fait, je me retourne et vois Linda arriver, rayonnante. Son marathon s'est très bien passé, elle avait l'impression de voler en deuxième partie et a fait un "negative split" académique.
En fait, bien qu'elle soit arrivée après moi, elle me bat de 30 secondes, car elle est partie plus loin dans le peloton.
Nous recevons nos médailles bien méritées et parcourons les quelques centaines de mètres qui nous séparent de l'hôtel, où nous allons nous doucher - le grand luxe ! De la fenêtre de ma chambre, j'ai une vue directe sur la course et je peux regarder passer les autres concurrents du Footing. Certes mon chrono est d'une demi-heure plus élevé que celui que je visais, mais je me rends compte que beaucoup d'autres coureurs rêveraient de faire mon temps, et puis j'ai terminé !
La suite du séjour sera récréative. Le soir, nous allons manger dans un restaurant chic, complètement réservé pour nous, avec un pianiste qui jouera toute la soirée. Le lendemain matin, nous nous lèverons tôt avec Linda pour aller visiter la ville, marchant trois heures malgré nos courbatures.
A midi, un bus nous ramène à l'aéroport. Nous prenons l'avion pour Varsovie, où un autre bus nous attend pour nous emmener dans la région d'origine de Teresa, à environ une heure de route. Nous sommes dans un petit hôtel assez rustique, aussi complètement réservé pour nous. Comme il manquait de place, certains coureurs se sont trouvés logés dans un chateau situé juste en face de l'hôtel.
Le repas du soir dans la grande salle est animé de chants et de danses par un groupe folklorique, auquel Teresa s'est jointe ! La vodka artisanale coule à flôts et la soirée se terminera très tard pour certains.
Le lendemain, le bus nous amène au village où Teresa possède une maison, pour un entraînement de décrassge. La délégation se divise en trois groupes : ceux qui ne peuvent pas courir et iront à vélo, un groupe marche/course lente et un groupe course rapide.
Teresa nous fait découvrir les bois où elle court lorsqu'elle vient en Pologne.
Nous passons par le village où vit la mère de Teresa, qui a organisé un petit ravitaillement. Il fait beau et l'ambiance est très chaleureuse.
Nous retournons ensuite à la maison de Teresa, où nous prenons le repas de midi - 50 convives répartis sur deux étages. Rassasiés, nous reprenons le bus pour Varsovie, où tout le monde profite pour faire une sieste de récupération.
Nous arrivons à l'hôtel Bristol, de grand luxe. Nous avons deux heures pour aller visiter la vieille ville avant le repas du soir. Curieusement, les rues sont peuplées de centaines d'écossais en kilt : ce soir avait lieu un match de football entre la Pologne et l'Ecosse.
Le repas du soir aura lieu dans une brasserie de la vieille ville, dont une salle nous est réservée. Spécialités polonaises et un litre de bière au menu.
Une dernière nuit à l'hôtel et nous nous levons à nouveau tôt avec Linda pour nous promener jusqu'au bord de la Vistule. Reprise du bus pour ensuite aller visiter le Palais de la culture, qui du haut de ses 30 étages offre une vue imprenable sur Varsovie. Nous nous rendons ensuite à un grand centre commercial pour dépenser nos derniers zlotis, puis c'est le retour à l'aéoroport et le vol pour Genève.
Nos bagages retrouvés à Cointrin, nous aurons juste 4 minutes pour attraper le train à la gare, c'est donc au sprint que nous avons terminé cette sortie marathon.
Si je garderai de merveilleux souvenir de ce séjour en Pologne, je conserverai une grande frustration de ce marathon. Ce n'est pas tellement le fait que je n'ai pas réussi ma course - ça m'est déjà arrivé et m'arrivera encore. C'est plutôt tout le temps que j'ai investi à suivre à la lettre mon plan, en y sacrifiant une bonne partie de mon été que j'avais l'habitude de consacrer à d'autres activités plus libres (vélo, ballades en montagne, entraînements en forêt).
A 50 ans, les occasions d'améliorer mes temps vont s'amenuiser, et j'ai l'impression d'avoir fait tout juste, dans les jambes et la tête, pour finalement un résultat décevant. Certes un marathon reste une épreuve qui n'est jamais gagnée d'avance, mais avec mon 3ème qui a été bridé par une crève les jours précédents et celui-ci, mon 5ème, par des douleurs venues de nulle part, je trouve l'investissement d'entraînement disproportionné par rapport à l'incertitude du résultat. Je me demande sérieusement si je suis fait pour la distance du marathon.
Si j'en refais un, ce sera certainement avec un plan plus souple et sans objectif de temps.
J'adresse un immense merci à Teresa pour toute l'organisation de ce séjour ! Déplacer 50 personnes sur 6 jours avec 4 vols d'avion, 7 trajets en bus et 5 repas commun à travers la Pologne n'était pas gagné d'avance, surtout quand on connait le caractère individualiste des coureurs à pied.
Et elle a aussi couru les 42 km.....
Cadeau souvenir : une médaille